Élections après élections, le Front national confirme son implantation en Sarthe. Ainsi, lors du 1er tour des élections régionales, la liste FN est arrivée en 1ère position du fait d’une implantation de plus en plus importante dans les zones rurales (score à plus de 30% dans 12 des 14 cantons ruraux ou péri-urbains). Si le sursaut démocratique du 2nd tour a permis de faire reculer le FN en 3ème position, force est de constater qu’il parvient, malgré tout, à engranger plus 4 000 voix supplémentaires en Sarthe soit la moitié de sa progression à l’échelle régionale.
Carte du vote FN au second tour des élections régionales de décembre 2015
Globalement, la carte régionale du vote FN doit être lue dans un contexte national. La Sarthe est un département charnière entre la grande région parisienne et l’Ouest de la France, il y a donc une certaine logique à ce que cela soit en Sarthe et dans la partie orientale du Maine-et-Loire que le vote FN soit le plus élevé au plan régional. Cela est, par ailleurs, conforme à la vieille géographie électorale qui faisait de l’Ouest de la Sarthe une terre très marquée par la tradition catholique et qui comme l’Ouest de la France reste moins sensible aujourd’hui aux thèses du FN.
Comme beaucoup d’entre vous, cette progression du vote en faveur du Front national m’interroge et j’ai tenté de dépasser les analyses classiques du « vote sanction » ou de « la dédiabolisation du vote FN » en m’intéressant à deux études récentes.
La première est l’œuvre du démographe Hervé LE BRAS dans un ouvrage intitulé le Pari du FN publié aux éditions Autrement en 2015 [voir un résumé]. Il y explique notamment que les causes du vote FN ne sont plus liées à la présence de personnes d’origine étrangère ou de l’insécurité. Ainsi, les zones urbaines où se concentrent les populations d’origine immigrées et les faits de délinquance connaissent des scores FN plus faibles que les zones rurales [cf. carte ci-dessous].
Le vote FN trouve d’abord son origine dans la situation socio-économique des populations et est alimenté par le sentiment de ne pas s’en sortir face à la crise et de ne pas avoir d’avenir. Cette peur du déclassement conduit à une forte progression du vote FN dans les catégories populaires enclines à voter traditionnellement à gauche [cf. carte ci-dessous].
Il existe des permanences dans la géographie du vote FN. La comparaison de la carte des élections régionales avec celle des élections présidentielles de 2002 montre la persistance du vote FN dans les mêmes territoires notamment les territoires ruraux.
Le vote FN se propage à l’image d’une épidémie de grippe en épousant les formes du relief. Il est alimenté par les rumeurs, les slogans et les idées toutes faites qui se répandent très facilement dans la population (exemple rumeur lors des municipales au Mans).
La deuxième étude est l’œuvre de Jérôme FOURQUET, Directeur du Département Opinion et Stratégies de l'Ifop. Sarthois d’origine, il a choisi la Sarthe pour terrain d’étude. Constatant la forte progression du vote FN dans les territoires ruraux et péri-urbains alors que son audience est plus limitée dans les principales agglomérations et dans leur immédiate périphérie, il en déduit que le vote FN semble aujourd’hui obéir à une loi de distance par rapport aux grands centres urbains [cf. graphique ci-dessous à partir de l'exemple de l'Ile de France].
Ainsi, plus on s’éloigne des grandes villes, plus la proportion des ouvriers, des employés et des commerçants et artisans, groupes sociaux les plus acquis au FN, sont surreprésentés dans la population locale. Ce constat est à mettre en relation avec le prix du foncier à bâtir. En effet, pour pouvoir construire une maison, les ménages les plus modestes sont contraints de s’éloigner des grandes villes mais cette distance produit également un sentiment d’éloignement et de relégation d’autant plus que tous les déplacements nécessitent l’usage de la voiture (deux voitures pour un couple) ce qui vient grever le niveau de vie … Ce sentiment d’isolement est renforcé dans les communes situées en dehors des grands axes de communication [cf. graphique ci-dessous].
De même, on constate que moins la commune possède de services et de commerces de base, plus le vote FN est élevé [cf. graphique ci-dessous].
Je vous invite à vous pencher sur ces deux études qui permettent de revisiter les idées préconçues que chacun-e d’entre peut avoir sur le vote en faveur du FN … Bien entendu, de nombreux autres éléments expliquent cette progression du vote extrémiste à commencer par l’échec des gouvernements successifs à faire reculer le chômage. Je suis persuadé que les discours culpabilisants sont inefficaces pour faire reculer le vote FN, seule la prise en compte des attentes concrètes de nos concitoyens notamment sur les questions de l’emploi, du service public, du pouvoir d’achat est en mesure d’inverser cette tendance inquiétante …